La situation en Palestine représente sans doute un cas extrême, et en cela particulièrement éclairant, pour la problématique de l’appropriation de l’espace[1]. La construction du Mur[2] et les annexions par les colons sionistes[3] de larges portions d’espace normalement placées sous l’autorité des Palestiniens montrent que les conflits pour la terre, même violents et armés, sont inséparables de luttes de légitimité, que la confrontation et l’opposition traduisent des rapports de forces asymétriques[4], où les enjeux sont sociaux, politiques, économiques, juridiques et symboliques. Pour rendre compte de ces rapports de force, des divisions et des stratégies mises en œuvres, il est nécessaire de combiner une analyse historique et documentaire avec une observation sur le terrain des pratiques concrètes et visibles des acteurs qui prennent la forme d’un marquage de l’espace, de la séparation et de l’appropriation.
Il est donc important, dans une première partie, de partir du contexte historique et général qui structure l’édification du Mur en Cisjordanie. Le Mur est un élément supplémentaire d’un processus en cours depuis plus de 50 ans en Palestine, processus qui voit deux ensembles sociaux hétérogènes revendiquer un même espace. Mais le Mur ne se résume pas à un trait sur une carte. Son édification a des conséquences dans et sur la vie quotidienne des différentes populations locales. Qui sont les groupes sociaux en présence ? Comment s’organise l’espace de vie qu’ils se partagent et se disputent ? Les usages de l’espace, différenciés et inégaux, participent-ils à catégoriser voire à construire ces groupes sociaux (Israéliens, Palestiniens, Colons…) ? Répondre à ces questions sera l’objet de la deuxième partie. Le troisième temps de ce chapitre se focalisera sur les luttes de légitimation / délégitimation, sur les ressources mobilisées par les différents acteurs sur le terrains (ressources rhétoriques, juridiques, militaires…), et donc les inégalités et rapports de force entre les différents groupes sociaux qui se disputent le même espace. Espace qui devient l’enjeu du rapport, ce qui pose aussi la question de la valeur conférée à l’espace que tentent de s’approprier les différents protagonistes. La notion de valeur (morale, politique, économique, religieuse, symbolique…) vient finalement répondre à la question du pourquoi des conflits et des luttes. C’est donc dans ce contexte que le Mur cristallise et relie l’ensemble de ces questionnements, donnant matière au sens propre comme au figuré à la réflexion proposée.
C’est donc à la fois de lui que part cette réflexion et c’est autour de lui qu’elle se construit et s’alimente.
[1] Ce travail s’appuie sur une recherche empirique qui associe une analyse documentaire (articles de presse, textes juridiques) et des enquêtes de terrain (observations directes, entretiens) menées en Israël et Palestine dans le cadre d’une thèse sur les Asymétries frontalières (Guillot, 2009).
[2] Le choix a été fait de mettre une majuscule au mot « Mur » à partir du moment où cela fait référence au Mur de séparation. Le but est de signifier ainsi, le type particulier de mur dont il s’agit, en tant que forme matérielle et symbolique d'un dispositif à la fois politique, militaire et social.
[3] Le sionisme correspond ici à l'idéologie qui est à la fois projet national et pratique politique, mais aussi dispositif de pouvoir. En cela on se réfère à l'idée originelle de Théodore Herzl qui définissait le sionisme politique avant tout comme un « projet de peuplement », tout en intégrant les évolutions idéologiques du sionisme qui depuis le milieu des années 1970 se transforme, se singularise prenant les formes d'un néosionisme, plus exclusivement religieux, et d’un post-sionisme (tendance inverse développée dans les années 1980-90). Dans le cas qui est traité ici, la question de la colonisation (et du peuplement) est intimement liée au sionisme en tant que projet politique, idéologique, qui peut prendre la forme de différents courants sionistes : socialiste, libéral-nationaliste ou religieux selon les périodes. La distinction doit donc être faite entre israéliens (regroupant des populations juives et non juives) et sionistes dont le référent est le judaïsme en tant que caractéristique première de la Nation. En cela on peut considérer le sionisme, non seulement comme un nationalisme, mais aussi une superstructure, « c'est-à-dire un mode de représentation de soi et plus encore un système institutionnel qui charpente la société israélienne » (Dieckhoff A., 2004, p. 46). Le terme de « sioniste » est donc ici préféré à celui d’« israélien ». Pour plus de détail voir par exemple : « La pensée juive (vol. 1). Histoire, tradition, modernité » in Raisons politiques 2002/3 (no 7), 236 p. ; le dossier « Le sionisme est-il mort ? » in Mouvements n°33-34, 2004/3-4, 242 p.
[4] L’idée d’asymétrie correspond ici à une absence de symétrie entre acteurs, c’est-à-dire à l’existence non seulement de différences mais aussi d’inégalités entre acteurs. Il y a l’idée de disproportion d’inégalité quantitative et de différence qualitative entre les acteurs. (Guillot, 2009).
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Il est donc important, dans une première partie, de partir du contexte historique et général qui structure l’édification du Mur en Cisjordanie. Le Mur est un élément supplémentaire d’un processus en cours depuis plus de 50 ans en Palestine, processus qui voit deux ensembles sociaux hétérogènes revendiquer un même espace. Mais le Mur ne se résume pas à un trait sur une carte. Son édification a des conséquences dans et sur la vie quotidienne des différentes populations locales. Qui sont les groupes sociaux en présence ? Comment s’organise l’espace de vie qu’ils se partagent et se disputent ? Les usages de l’espace, différenciés et inégaux, participent-ils à catégoriser voire à construire ces groupes sociaux (Israéliens, Palestiniens, Colons…) ? Répondre à ces questions sera l’objet de la deuxième partie. Le troisième temps de ce chapitre se focalisera sur les luttes de légitimation / délégitimation, sur les ressources mobilisées par les différents acteurs sur le terrains (ressources rhétoriques, juridiques, militaires…), et donc les inégalités et rapports de force entre les différents groupes sociaux qui se disputent le même espace. Espace qui devient l’enjeu du rapport, ce qui pose aussi la question de la valeur conférée à l’espace que tentent de s’approprier les différents protagonistes. La notion de valeur (morale, politique, économique, religieuse, symbolique…) vient finalement répondre à la question du pourquoi des conflits et des luttes. C’est donc dans ce contexte que le Mur cristallise et relie l’ensemble de ces questionnements, donnant matière au sens propre comme au figuré à la réflexion proposée.
C’est donc à la fois de lui que part cette réflexion et c’est autour de lui qu’elle se construit et s’alimente.
[1] Ce travail s’appuie sur une recherche empirique qui associe une analyse documentaire (articles de presse, textes juridiques) et des enquêtes de terrain (observations directes, entretiens) menées en Israël et Palestine dans le cadre d’une thèse sur les Asymétries frontalières (Guillot, 2009).
[2] Le choix a été fait de mettre une majuscule au mot « Mur » à partir du moment où cela fait référence au Mur de séparation. Le but est de signifier ainsi, le type particulier de mur dont il s’agit, en tant que forme matérielle et symbolique d'un dispositif à la fois politique, militaire et social.
[3] Le sionisme correspond ici à l'idéologie qui est à la fois projet national et pratique politique, mais aussi dispositif de pouvoir. En cela on se réfère à l'idée originelle de Théodore Herzl qui définissait le sionisme politique avant tout comme un « projet de peuplement », tout en intégrant les évolutions idéologiques du sionisme qui depuis le milieu des années 1970 se transforme, se singularise prenant les formes d'un néosionisme, plus exclusivement religieux, et d’un post-sionisme (tendance inverse développée dans les années 1980-90). Dans le cas qui est traité ici, la question de la colonisation (et du peuplement) est intimement liée au sionisme en tant que projet politique, idéologique, qui peut prendre la forme de différents courants sionistes : socialiste, libéral-nationaliste ou religieux selon les périodes. La distinction doit donc être faite entre israéliens (regroupant des populations juives et non juives) et sionistes dont le référent est le judaïsme en tant que caractéristique première de la Nation. En cela on peut considérer le sionisme, non seulement comme un nationalisme, mais aussi une superstructure, « c'est-à-dire un mode de représentation de soi et plus encore un système institutionnel qui charpente la société israélienne » (Dieckhoff A., 2004, p. 46). Le terme de « sioniste » est donc ici préféré à celui d’« israélien ». Pour plus de détail voir par exemple : « La pensée juive (vol. 1). Histoire, tradition, modernité » in Raisons politiques 2002/3 (no 7), 236 p. ; le dossier « Le sionisme est-il mort ? » in Mouvements n°33-34, 2004/3-4, 242 p.
[4] L’idée d’asymétrie correspond ici à une absence de symétrie entre acteurs, c’est-à-dire à l’existence non seulement de différences mais aussi d’inégalités entre acteurs. Il y a l’idée de disproportion d’inégalité quantitative et de différence qualitative entre les acteurs. (Guillot, 2009).